samedi 14 décembre 2013

Des médecins refusent de traiter des enfants par «préférence personnelle et professionnelle»

Une mère de famille excédée de se voir refuser l’accès à la clinique sans rendez-vous de son quartier qui refuse les enfants lors de certaines plages horaires porte plainte au Collège des médecins.

Marie-Ève, mère de deux enfants, habite l’Ouest-de-l’Île. À plusieurs reprises, la secrétaire du centre médical Brunswick, à Pointe-Claire, a refusé d’inscrire un de ses enfants au sans rendez-vous.
 
En début de semaine, la situation s’est reproduite. Sa fille se plaignait de douleur à l’oreille — manifestement une otite. « J’ai appelé à la clinique pour savoir s’il restait de la place, raconte Marie-Ève, qui préfère ne pas dévoiler son nom. La secrétaire m’a dit qu’il fallait venir avant 17 h, car le médecin de soir ne prend pas les enfants. » La secrétaire lui propose alors de venir le lendemain matin, alors qu’un autre médecin sera de garde. « Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive », déplore la jeune maman, qui a contacté Le Devoir. Une deuxième mère de famille a confirmé que cette situation lui était arrivée « régulièrement » à cette même clinique, mais qu’elle n’avait pas porté plainte. Une troisième raconte également qu’après l’avoir fait attendre 45 minutes avec son bébé de 11 mois, la secrétaire lui a finalement signifié de se rendre dans une autre clinique du quartier.
 
Le Code de déontologie pourtant clair
 
Marie-Ève porte maintenant plainte au Collège des médecins.
 
Sa porte-parole, Leslie Labranche, confirme qu’un médecin ne peut « faire de tri de sa clientèle en fonction de l’âge ». L’article 23 du Code de déontologie le prohibe formellement. « Le médecin ne peut refuser d’examiner ou de traiter un patient pour des raisons reliées à la nature de la déficience ou de la maladie présentée par ce patient ou pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de grossesse, d’état civil, d’âge, de religion, d’origine ethnique ou nationale ou de condition sociale de ce patient ou pour des raisons d’orientation sexuelle, de moeurs, de convictions politiques ou de langue ; il peut cependant, s’il juge que c’est dans l’intérêt médical du patient, diriger celui-ci vers un autre médecin », peut-on y lire.
 
Le Dr Peter Daignault, qui était de garde lors de l’incident selon la secrétaire de la clinique jointe jeudi, ne fait pas l’objet de limitation de pratique qui, à la connaissance du Collège, pourrait justifier son refus de traiter des enfants. « Si la personne porte plainte, le syndic pourra vérifier si ses raisons sont fondées », dit Mme Labranche. Elle ajoute que le syndic reçoit quelques plaintes par an concernant l’article 23 du Code de déontologie, mais que le tri de clientèle n’est pas un problème qui est souvent porté à son attention.
 
Le centre médical Brunswick est par ailleurs accrédité Groupe de médecine familiale depuis 2012 et Clinique réseau depuis 2008, et reçoit à ce titre des subventions de fonctionnement. C’est un important GMF qui comptait 27 médecins lors de son accréditation.
 
Selon le centre médical Brunswick, qui confirme que le Dr Daignault ne voit pas les enfants, il est très rare que les parents se voient refuser l’accès au sans rendez-vous. « Ça n’arrive presque jamais, assure Stéphanie Kattas, la directrice des opérations et de l’administration. Normalement, un pédiatre ou un autre médecin est présent en même temps que ce médecin pour assurer l’accès à cette clientèle. » Elle explique que le Dr Daignault ne traite pas les enfants par « préférence personnelle et professionnelle » et qu’il n’est pas à l’aise. « Nous avons d’autres médecins qui offrent la meilleure qualité de soins possible pour les enfants. Nous avons toujours une solution pour pallier. »
 
Le CSSS de l’Ouest-de-l’Île a refusé de commenter, alléguant que les droits des médecins relevaient du Collège.

Phénomène isolé ?
 
Le phénomène est-il isolé ? D’autres parents ont vécu la même expérience ailleurs. À la clinique La Cité à Montréal, une jeune mère requérant un rendez-vous pour un problème avec sa fille de 11 mois s’est fait clairement répondre : « Les médecins ici ne sont pas à l’aise avec les petits bébés. Ils ne peuvent pas refuser de la voir, mais je préfère vous le dire », a indiqué la réceptionniste. Celle-ci a par ailleurs précisé que la clinique n’avait le droit de refuser aucun patient réclamant un rendez-vous pour son enfant, mais dirigeait souvent les parents d’enfant en bas âge à une autre clinique du secteur, sauf en présence de symptômes d’apparence simple, comme une otite.
 
Un autre parent a aussi raconté au Devoir qu’un médecin de famille avait refusé de suivre ses enfants, affirmant ne pas accepter de mineurs parmi sa clientèle.
 
La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) croit qu’un médecin doit éviter les situations où il devra traiter des cas où il ne se sent pas à l’aise. « Sur le plan individuel, mieux vaut ne pas s’occuper d’un patient si on ne s’en sent pas les compétences », dit son président, le Dr Louis Godin. « Mais tu ne dois pas te placer toi-même dans une situation où il y a une forte probabilité que tu voies des enfants. Si tu es seul au sans rendez-vous, il y a toutes sortes de clientèles, tu dois pouvoir faire face à la musique », nuance le Dr Godin. Refuser systématiquement les enfants dans un sans rendez-vous est un comportement « plus difficile à justifier », dit-il.
 
Selon le Dr Godin, alors que la médecine de famille tend non seulement à se complexifier, mais aussi à se spécialiser, le phénomène de la segmentation des pratiques prend de l’ampleur. « Certains médecins font beaucoup de pédiatrie, d’autres de gériatrie. À partir de ce moment-là, il faut s’organiser pour travailler dans des milieux qui nous conviennent. »

 14 décembre 2013 | Amélie Daoust-Boisvert


http://www.ledevoir.com/societe/sante/395249/des-medecins-refusent-de-traiter-des-enfants-par-preference-personnelle-et-professionnelle